5. Doit-on autoriser le brevetage des gènes?
Les brevets biotechnologiques – une question controversée
Arguments contre
- On délivre de plus en plus de brevets sur des gènes: pour les chercheurs, il est actuellement difficile de conserver la vue d’ensemble.
- Les brevets sur des gènes sont éthiquement problématiques: le génome appartient à l’humanité. Pour la sécurité alimentaire et la lutte contre les maladies, il s’agit là d’un aspect essentiel. Enfin, l’air et l’eau ne peuvent pas non plus être brevetés.
- On peut argumenter en disant que les gènes touchent des intérêts fondamentaux de tous les hommes. Cela rend leur brevetage problématique, car on concède ainsi à des individus un large contrôle sur des domaines qui concernent ces intérêts fondamentaux.
Arguments pour
- Un brevet sur un gène n’est pas un droit de propriété exclusif, mais exclut seulement des tiers pour une période limitée de l’exploitation commerciale. La recherche peut continuer.
- Dans un pays pauvre en matières premières comme l’est le nôtre, la capacité d’innovation de l’économie est le principal facteur de croissance et de prospérité. Les investissements ne sont possibles que si l’on en protège les résultats. Sans une protection puissante conférée par les brevets, l’industrie pharmaceutique – et en particulier l’industrie biotechnologique – est menacée.
- Les inventions biotechnologiques jouissent de la même protection que toutes les autres inventions. Ce principe remonte à un brevet délivré à Louis Pasteur, en 1873.
Comme il a été dit plus haut: les animaux ou les plantes ne peuvent être brevetés que s’ils comportent une invention. C’est ainsi qu’en 1992 la souris dite «Harvard» a été brevetée aux Etats-Unis, ce qui a provoqué bien des remous. Un gène cancéreux humain lui a été transmis. Grâce à cette souris, on espère pouvoir mieux étudier les facteurs à l’origine du cancer. Plus de 100 organisations ont déposé 17 recours collectifs contre le brevet, car elles contestaient que cette souris cancéreuse représente une invention. Par la suite, les recours ont été partiellement admis: les revendications ont été jugées inacceptables dans leur validité globale pour tous les mammifères, mais – pour l’essentiel – le brevet reste valable.
Les inventions biotechnologiques ne sont pas brevetées seulement par de grandes entreprises industrielles, elles le sont aussi par de petites sociétés biotechnologiques ou des chercheurs travaillant dans les universités. Le Professeur d’Université Charles Weissmann a suscité quelque remous lorsqu’en 1978 il créa l’entreprise de biotechnologie Biogen avec un groupe de biologistes moléculaires, en majorité européens. Pour les biologistes, une telle démarche était inhabituelle à l’époque, mais Charles Weissmann put, dès le début, compter sur le soutien de l’Université de Zurich et de la Direction de l’instruction publique du canton de Zurich. En 1979, son groupe de travail fut le premier à isoler le gène de l’interféron alpha et à en obtenir la production dans des bactéries. Il devenait ainsi possible de produire à volonté cette substance cellulaire naturelle de défense. Le procédé fit immédiatement l’objet de demandes de brevets, et l’interféron alpha se révéla efficace dans le traitement de l’hépatite virale ainsi que dans celui de certaines formes de cancer.
Aujourd’hui, le développement et la commercialisation de l’interféron alpha constituent un exemple probant pour illustrer la coopération entre l’Université et l’économie privée. En ce qui concerne également les recettes provenant des licences, ce devrait être à ce jour l’exemple le plus intéressant. Jusqu’ici, le brevet a en effet rapporté quelque 50 millions de francs à l’Université de Zurich. Chaque université pratique aujourd’hui ce que l’on dénomme le «transfert de technologie»: les chercheurs réfléchissent à la possibilité d’utiliser les résultats de leurs travaux pour déposer un brevet. Cette réflexion est importante, car, une fois qu’un résultat de recherche a été publié dans une revue spécialisée ou a été ne serait-ce que rendu public lors d’un exposé tenu dans le cadre d’un congrès, il ne peut plus être breveté parce qu’il n’est plus nouveau. Cet aspect suscite toujours de nouveaux débats: en effet, les chercheurs souhaiteraient publier aussi vite que possible leurs découvertes nouvelles dans une revue spécialisée. Or, une demande de brevet réclame du temps.
Mais, une fois que l’on dispose d’un brevet, l’université peut négocier avec des entreprises des contrats portant sur son exploitation et, si tout se passe bien, ces entreprises versent de l’argent aux chercheurs et à l’université en question pour l’exploitation de cette invention. Les brevets sont souvent aussi à l’origine de nouveaux projets entre l’industrie et l’Université. Les entreprises suisses financent chaque année la collaboration avec des universités du monde entier à hauteur de plusieurs centaines de millions de dollars.
Dans certains cas, ce type de brevet délivré à une université peut aussi offrir la possibilité aux chercheurs de créer eux-mêmes une petite société de biotechnologie, ce que l’on appelle une «spin-off» universitaire. Celui ou celle qui désire créer une entreprise doit garantir la sécurité à ses partenaires, car – jusqu’à ce qu’un produit naisse d’une idée que l’on pourra commercialiser – il s’écoulera souvent de nombreuses années, et cela réclamera à la fois beaucoup de chance et beaucoup d’argent. Pour les jeunes entreprises, l’argent vient le plus souvent des banques et d’autres organismes de financement. Ceux-ci veulent être sûrs que les fruits de leurs investissements ne seront pas récoltés par d’autres. Pour les jeunes entreprises de biotechnologie, les brevets peuvent apporter la sécurité que réclament les bailleurs de fonds.